Tenrolf avait quitté le campement tôt dans la matinée. Il avait marché plusieurs jours dans le désert. Seul. Il avait laissé sa radio éteinte pour profiter du silence et de la quiétude. Le corps de Felony lui manquait bien un peu, mais il avait besoin de ces instants où il pouvait se ressourcer. Le soleil. La poussière et la roche dure. Quelques carcasses décharnées sur lesquelles il ne restait plus rien à bouffer.
Tenrolf se concentrait sur sa respiration, sur ses réserves de vivres. Arrêter de penser, de réfléchir. Devenir une machine. Une machine à respirer. Une machine à boire, à bouffer, à chier. Un simple outil de transformation de matière en énergie.
Puis il avait retrouvé les ruines du campement temporaire des Têtes Brûlées. Ils n’avaient pas fait les choses à moitié cette fois-là. Fossés et palissades hérissées de pointes délimitaient l’espace où les TB avaient installé leurs tentes. Et, au milieu, un homme.
Le type avait fait un bout de route pour retrouver les Têtes Brûlées. Il était arrivé sale, harassé et décharné. Dans ses yeux ont pouvait lire la fureur meurtrière de celui qui a passé trop de temps dans le désert. Mais il pouvait être utile, et les TB l’avaient nourri et accueilli en leur sein.
Cela faisait plusieurs lunes que Roger le Boucher essayait de joindre Vega Viper. Sans réponse. Tenrolf s’approcha sans prendre de précautions. Le type ne bougeait pas, ne réagissait pas. Il était assis à même le sol, les bras autour des genoux. En s’approchant, Tenrolf remarqua que l’autre dodelinait doucement en marmonnant des choses incompréhensibles d’une voix éraillée par la déshydratation. Les réserves du type et sa radio n’avaient pas bougé. De temps en temps, celle-ci crachotait quelques mots entrecoupés de parasites. Elle était manifestement détraquée.
Tenrolf s’empara de la radio, afin de voir s’il avait quelque chose à en tirer. Il capta quelques émissions en provenance de Monaco-Station, ex-Lune de Miel, cité maudite où il était heureux de s’être contenté de passer pacifiquement, puis de revenir dans le fracas des armes, mais sans jamais y demeurer.
Vega Viper marmonnait dans son coin :
« Ouiiiiiiiiiiiiiii, maman a dit qu’il faut pas faire du mal aux lapins. Lâche le lapin ! Méchant ! Méchant ! Fais pas du mal. Maman a dit qu’il faut pas faire du mal aux lapins. Des cacahuètes au bacon, oui, des cacahuètes à la cacahuète. Hahahahaha. Mange les morts ! Mange les morts ! Mais pas les lapins. Touche pas aux lapins. Enculé ! Sale fils de pute d’enculé d’ta race. J’vais t’faire bouffer tes boyaux. »
Ainsi de suite. Les yeux de l’homme étaient vitreux. Il était déjà dans un autre monde. Roger avait une expression pour désigner les types comme lui, qu’est-ce que c’était déjà ? Ha oui ! Les « cadavres pas encore morts ». Une affaire plutôt simple à régler en l’occurrence.
Quelques instants plus tard, Tenrolf, couvert de sang, recouvrait de sel quelques morceaux de viande qu’il ajouta à ses provisions. C'était ici qu'il avait dépecé Headbull et Kashmir. Il disposa les restes de Vega Viper à côté de ceux de ses autres anciens compagnons et ajouta un nom sur l'inscription.
Mer 14 Mai - 15:53